Rencontre

« Questionner l’ampleur des contaminations et établir leurs conséquences »

Si les microplastiques présents dans le milieu marin font l’objet de nombreux travaux de recherche, ceux qui existent en milieu terrestre sont en revanche peu investigués. L’ADEME s’est saisie de cette question en 2019, mais analyser et traiter des microplastiques reste pour l’heure d’une grande complexité, et les besoins en recherche sont nombreux. Regards croisés de Mikaël Kedzierski, maître de conférences à l’Université Bretagne Sud, Isabelle Deportes, ingénieure impacts sanitaires et écotoxicologiques de l’économie circulaire à l’ADEME et Hélène Roussel, coordinatrice du plan de résorption des décharges littorales à l’ADEME.


Qu’est-ce qu’un microplastique et à quelle réglementation ce matériau est-il soumis ?
Isabelle Deportes 

On qualifie de microplastiques les plastiques qui mesurent moins de 5 mm et plus de 1 micron (sous cette taille, ce sont des nanoplastiques). Une réglementation existe pour les plus gros d’entre eux (compris entre 2 et 5 mm), dans les matières fertilisantes et les supports de culture. Pour les microplastiques d’origine primaire (autrement dit, ceux qui ne sont pas issus de la dégradation, mais qui ont été fabriqués à cette taille et que l’on trouve notamment dans les cosmétiques) inférieurs à 2 mm, seule une réglementation européenne (qui vise à les interdire) est en train d’émerger. Pour les autres, on note un manque juridique, mais aussi un manque scientifique, ne serait-ce que parce que nous ne possédons pas d’outils permettant de les collecter.

Pourquoi et comment l’Institut de recherche Dupuy de Lôme est-il venu travailler sur cette question ?
Mikaël Kedzierski 

Le sujet des microplastiques a été soulevé en 2013 par le professeur d’université Stéphane Bruzaud. Il a constaté que les biologistes (notamment marins) étaient les premiers à observer la présence de ce matériau dans leurs échantillons, mais qu’ils ne possédaient pas toujours les moyens pour approfondir leurs analyses en termes de chimie des microplastiques. L’Institut de recherche Dupuy de Lôme s’est alors saisi de ce sujet et a apporté sa compétence dans la compréhension des matériaux ; l’enjeu est notamment de comprendre la nature chimique des particules collectées dans le milieu naturel, d’établir si nous sommes bien en présence de microplastiques et, si tel est le cas, d’en établir la nature (polyéthylène, polypropylène, etc.). Nous travaillons également sur la façon dont ils se dégradent et essayons de tirer toutes les informations possibles de ces matériaux. Notre objectif est donc de les faire parler.

Comment l’ADEME s’est-elle emparée de cette question ?
I. D.

Nous nous sommes rendu compte que, alors que les micro-plastiques présents dans les milieux liquides font l’objet de nombreux travaux de recherche, ceux présents en milieux terrestres sont très peu étudiés. Or, bien sûr, ce sont eux qui sont à l’origine de la contamination dans le milieu liquide. L’Agence a donc souhaité acquérir des données sur ces contaminations pour questionner leur ampleur et, le cas échéant, établir leurs conséquences en termes de santé humaine et d’écotoxicité. L’ADEME s’est saisie de cette question relativement récemment (en 2019), en l’introduisant dans différents appels à projets de recherche (APR) sur la qualité de l’air, la notion d’impact de contaminant dans l’environnement ou encore dans l’APR « Graine » dédié à la bioéconomie circulaire (dans lequel nous traitons plus particulièrement de plastiques dits « biodégradables »). En 2022, en collaboration avec l’Office français de la biodiversité, nous avons lancé le premier APR totalement dédié au transfert des microplastiques dans les écosystèmes continentaux.

Comment le service Sites et sols pollués de l’ADEME utilise-t-il ces travaux de recherche ?
Hélène Roussel 

Notre service gère des sites dont les responsables sont défaillants, principalement des friches industrielles. C’est par ce biais que nous sommes arrivés sur ce sujet car la pollution industrielle peut être à l’origine du développement des microplastiques. Nous avons commencé à soutenir cette recherche via un appel à projets européen, SOILVER. Comme les micro-plastiques sont peu visuels, nous n’avons pas appréhendé leur impact rapidement ; pourtant leur concentration est importante et l’on sait à présent que la pollution en microplastiques peut être aussi volumineuse que celle des macroplastiques.
Concrètement, dans le domaine de la réhabilitation des décharges littorales, nous allons utiliser les résultats de la recherche pour mesurer des microplastiques présents dans les différents milieux (air, eau, sol, sédiment, mais aussi dans le vivant). Nous pourrons alors établir où se situe la pollution, jusqu’où elle va, et donc préciser le plan de gestion et les travaux à mettre en place pour l’endiguer. Ces enjeux se posent aujourd’hui avec d’autant plus de nécessité que les accords issus de One Ocean Summit en février 2022 demandent de limiter la pollution des océans par le plastique. Dans un deuxième temps, nous aurons besoin de technologies capables de sortir les microplastiques des matériaux terreux afin de les dépolluer.

Selon vous, quelles sont les pistes de recherche à explorer ?
M. K.

Les impacts des microplastiques sur la santé humaine sont un sujet en plein développement et les enjeux de recherche sur cette question sont importants. Un autre point à investiguer porte sur l’harmonisation des méthodes et protocoles utilisés. Pour l’heure, comme il n’existe pas d’échelle commune au niveau national et a fortiori mondial, il est difficile de comparer les résultats publiés. De façon générale, l’étude des microplastiques reste compliquée, d’autant que chaque analyse consomme beaucoup de temps, mais aussi de moyens humains.

I. D.

Il y a effectivement un fort enjeu à normaliser, mais aussi à valoriser ces travaux de recherche au niveau européen, voire mondial. Dans notre APR de 2022, nous proposions de créer une base de données dans laquelle il serait possible de compiler l’ensemble des analyses des microplastiques : ces résultats seraient ensuite accessibles à tous pour créer une base ouverte permettant de partager les protocoles, les méthodes d’échantillonnage, les résultats qui y sont associés, etc. et donc de poser les jalons d’un outil de normalisation.

H. R.

Notre service partage ce besoin d’accéder à des données normalisées à l’échelle française voire internationale. Cela sera indispensable pour acheter des prestations de mesures, des diagnostics sur les décharges littorales et pouvoir ensuite comparer les degrés de pollution avant et après travaux ou encore entre les sites. Nous manquons également d’outils de mesures in situ pour disposer d’informations semi-quantitatives lors des travaux de réhabilitation, ce qui permettrait d’avancer le chantier à une cadence correcte, mais aussi de trier les matériaux terreux selon leur degré de contamination en MP et ainsi mieux valoriser ceux qui en sont indemnes.

Les plastiques dits « biodégradables » soulèvent-ils des questions plus spécifiques ?
I. D.

La question qui se pose est « jusqu’où ces plastiques sont-ils biodégradables ? ». Les normes fixent un degré de biodégradabilité de 90 % dans les milieux testés. 10 % de la matière ne donc sont pas pris en compte et on sait qu’ils se retrouveront tôt ou tard dans les résidus plastiques présents dans les sols, les rivières, les fleuves ou dans des eaux marines. Donc soyons clairs : à ce jour, les plastiques dits « biodégradables » ne le sont pas intégralement selon les normes qui les caractérisent.

M. K.

Les polymères biodégradables disponibles à la vente sont peu nombreux. Au-delà de leur dégradabilité, la question à envisager est leur toxicité (qui reste à établir) pour leur environnement. En laboratoire, nous développons un polymère naturel fabriqué par une bactérie marine et qui permet de faire des objets parfaitement fonctionnels. Une fois de plus, le vivant nous montre qu’il a su mettre en œuvre des solutions pertinentes bien avant nous…

Bio express

Maître de conférences à l’Université Bretagne Sud, Mikaël Kedzierski a travaillé plusieurs années au sein de l’Institut de recherche Dupuy de Lôme. Ses travaux ont plus particulièrement porté sur le suivi de pollution par les microplastiques au niveau de plages de sable et sur les interactions entre plastiques et micropolluants dans le milieu marin. Actuellement, son travail s’intègre dans plusieurs projets portant sur les microplastiques dans les sols (Microsof, Biomaleg, PRO, Plastival, Plastransfer).